2ème partie - La ChrIstianisation des Jours : du "Solis dies" au "Dies Dominicus"



Initialement, les Romains divisaient les mois en trois décades de dix jours autour de trois points fixes au sein de chacun d’eux : les calendes (kalendae, kalendarum), qui correspondent avec le premier de chaque mois ; les ides (idus, iduum), avec le treizième ou le quinzième jour selon le mois ; les nones (nonae, nonarum), avec le cinquième ou le septième jourNOTE 1.

Par exemple, le 1er avril se dit kalendis aprilibus, le 7 mars est nonis martiis et pour le 13 janvier idibus ianuariis. Dans les autres cas, on fait un compte à rebours à partir de ces jours repères, en comptant le jour repère comme le premier avant lui-même (contrairement à notre logique). Pour la veille on emploie pridie comme par exemple dans pridie nonas iunias, c’est-à-dire la veille des nones de juin, soit le 4 juin. L’avant-veille est comptée comme le troisième jour avant (nous dirions le deuxième), par exemple ante diem tertium nonas iulias, c’est-à-dire le troisième jour à partir des nones de juillet soit le 5 juillet. Pour exprimer une date après les ides, on se réfère aux calendes du mois suivant : le 18 janvier sera donc le 15ème jour avant les calendes de février.

Progressivement cette tradition a été remplacée par les nundines, la semaine commerçante de huit jours. La semaine de sept jours ne s’imposera en Occident qu’aux alentours du IIIème siècle.

L’ « invention » de la semaine


La semaine (du latin septimana) est une période de sept jours correspondant au quart d’un mois lunaire (28 jours).

C’est en Mésopotamie que la semaine de sept jours semble avoir été utilisée pour la première fois. Dans cette région, le chiffre 7 était néfaste et il était conseillé de ne rien entreprendre les 7, 14, 21 ou 28. Ce jour néfaste, le « sabbatu », sera adopté par les Hébreux.

Ce chiffre 7 correspondait au nombre d’astres visibles dans le ciel et connu des astronomes de l’époque (le Soleil et la Lune considérés comme des planètes). Le génie ou l’esprit associé à chaque planète régnait à tour de rôle sur une heure du jour, dans un cycle continu. Chaque jour, à son tour, était dominé par l’intelligence planétaire régnant sur sa première heureNOTE 2. Dans la semaine chaldéenne, l’ordre des jours correspond à celui de notre semaine actuelle. Mais le premier jour de la semaine est le jour de Saturne (samedi) et le dernier le jour de Vénus (vendredi). La majorité des pays musulmans fait commencer la semaine le samedi, reprenant en cela le principe de la semaine chaldéenne, car le vendredi est le jour saint de l’islam.

Les Hébreux reprendront la pratique de la semaine chaldéenne de sept jours. La Genèse fait venir Abraham de Chaldée. La Torah raconte que Yahvé, après avoir achevé la création de la Terre en six jours, se repose le septième jour, jour du sabbat (Genèse 2,2). Pour les Juifs, le sabbat (samedi) est le jour du culte et de repos. Le commandement se trouve dans le Décalogue et fait écho à la Genèse. Traduite en grec puis en latin, la Bible va répandre la pratique de la semaine dans le monde romain.

Le « Jour du Seigneur »


Dimanche vient du latin die[m] dominica[m], le « jour du Seigneur » qui donna également en espagnol « domingo » et en italien « domenica ». Le grec « kyriaki » a le même sens. A l’origine, consacré au Soleil (Solis dies), il a donné « Sunday » en anglais.

  • Du premier jour de la semaine…

Le samedi est le jour saint du Dieu de la Bible. Les Juifs le considèrent comme le mémorial de la Création (le 7ème jour de la Genèse), et comme jour de repos sacré (shabbat). Les Chrétiens des premiers siècles, aux traditions juives encore fortement ancrées, considèrent clairement le sabbat comme le dernier jour de la semaine et par conséquent le dimanche comme le premier jour de la création (Mt 28,1 ; Mc 16, 1-2).

Sous l’appellation de huitième jour, le jour de la Création qui n’a pas encore eu lieu, ils célébraient le symbole d’une création nouvelle. Ce huitième jour (le dimanche) est considéré comme le jour de la résurrection de Jésus de Nazareth. La symbolique chrétienne associe fréquemment le chiffre 7 au judaïsme, et le 8 au christianisme, considéré comme le dépassement du judaïsme. D’ailleurs cela semble encore évident pour les Portugais qui nomment le lundi « segunda-feira » (le deuxième jour) jusqu’au vendredi « sexta-feira » (le sixième jour). On peut déduire la même chose de l’allemand qui a conservé le mot « Mittwoch » pour mercredi signifiant « jour du milieu », faisant du samedi le septième et dernier jour de la semaine. Tout comme les Russes qui nomment ce jour « sreda », centre.

  • …au jour de repos

Beaucoup de Chrétiens vont adopter le dimanche comme jour de repos et de culte parce que Jésus revint d’entre les morts un dimanche.

En 321, l’empereur Constantin instaure le dimanche comme jour de repos par l’édit de Milan, faisant explicitement référence dans son édit au jour de repos de Dieu et suggérant ainsi l’idée que le dimanche est le septième jour. On ne connaît cependant pas les motivations réelles de Constantin. Des considérations d’ordre socio-économique ont fondé la décision de l’empereur. A une époque où les Chrétiens sont encore qu’une petite minorité, cette mesure ne fait pas du dimanche un jour de repos spécifiquement chrétien. Ce jour est d’ailleurs nommé « jour du Soleil, fête pour le culte qui lui est propre ». Pourtant nous sommes à quatre ans du concile de Nicée (et vers l’époque où apparaît la fête de Noël), cette décision est à compter au nombre des actes qui favorisent indirectement la reconnaissance du christianisme.

Les jours de la semaine


A l’origine, les jours de la semaine romaine sont attribués à chacune des sept planètes (et donc de leurs dieux).

En français, comme dans la plupart des langues romanes, lundi est issu du latin lunae dies signifiant « jour de la Lune ». Ainsi on dit en italien lunedi, lunes en castillan, dilun en occitan, etc… Dans les langues germaniques, il dérive de Mani, le dieu germanique de la Lune. On a ainsi en anglais Monday forgé sur moon, Maandag en néerlandais (maan), Montag en allemand (Mond)…

Mardi, martis dies signifie « jour de Mars », traduction du grec areôs hêméra, « jour d’Arès », les dieux de la guerre respectifs des Romains et des Grecs. Similairement, en allemand, Dienstag vient du moyen allemand « Dingesdach », du dieu de la guerre « Mars Thingsus » (dieu des Things latinisation du dieu nordique Tyr). En anglais, Tuesday trouve son origine du vieil anglais « tiwesdaeg » (puis du moyen anglais « Tewesday »). Là encore on retrouve le dieu germanique du ciel et de la guerre, « Teiwaz » en gotique, « Tiw » en vieil anglais et « Tyr » en vieux norrois (dieu). Dans les langues indo-aryennes, le nom du jour est traduit par « celui qui est de couleur rouge » (Angaraka), pour Mangal le dieu de la guerre et pour Mars la planète rouge.

Mercurii dies « le jour de Mercure », Jovis dies « le jour de Jupiter », Veneris dies « Le jour de Vénus » vont donner mercredi, jeudi et vendredi. Chez les païens germaniques, le mercredi est « le jour du dieu Odin » (Woden) qui sera « wenesday » en anglais, « woensdag » en néerlandais et « onsdag » en danois, norvégien et suédois. Dans les pays germaniques, vendredi est le « jour de la déesse Frigg, Frîja, Frea » d’où « vrijdag » en néerlandais, « Freitag » en allemand, « Friday » en anglais…), déesse qui peut être assimilée à la déesse Vénus.

Les Romains associaient le samedi à Saturne, Saturni dies. On retrouve cette étymologie dans l’anglais « Saturday ». En français, le mot « samedi » est issu du latin sambati dies (sambatum en latin tardif, d’où « Samstag », « Sabbato »…), variante d’origine grecque de sabati dies signifiant « jour du sabbat ».

A l’époque de l’empereur Constantin 1er, le pape Sylvestre 1er a tenté de supprimer les références du nom des jours aux divinités antiques. Il proposa de ne garder que le dimanche (en latin dies Dominicus, « jour du Seigneur ») et le samedi (sabbat) puis de numéroter les jours. La réforme échoua mais fut reprise à son compte par l’évêque de Braga au Portugal au VIème siècle.

Ultérieurement, les autorités proposèrent la nomenclature suivante : Luminis dies « le jour de la lumière » pour lundi, Martyrium dies « le jour des martyrs » pour mardi, Merae ecclesiae dies « jour de l’Eglise immaculée » pour mercredi, Jesus dies « jour du saint sacrement » pour jeudi, Veneranda dies « le jour de la passion » pour vendredi, Sabbato dies « le jour du sabbat » pour samedi et bien sûr Dominicae dies « le jour du Seigneur » pour le dimanche. La réforme n’eut pas de succès, mais le « jour du Seigneur » (dimanche) réussit à se substituer au « jour du Soleil » dans quelques régions européennes.

...et les mois de l'année


Aucune tentative pour rebaptiser le nom des mois de l’année n’est à signalerNOTE 3. Les mois de Septembre (de septem, « sept »), Octobre (de octo, « huit »), Novembre (de novem, « neuf ») et Décembre (de decem, « dix ») font référence à leur emplacement dans le calendrier romain originel ; les mois de juillet (de julius, « mois de Julius ») et d’août (de augustus, littéralement « consacré par les augures ») rappellent les mémoires de Jules César et de l’empereur Auguste ; février dérive du latin populaire febrarius issu lui-même du latin classique februarius et du verbe februare, « purifier ».

Cependant, les mois de janvier, mars, avril (?), mai et juin sont, quant à eux, nettement marqués par l’ancienne religion romaine. Janvier est dédié au dieu Janus, le dieu des portes (de janua, « porte » en latin selon Tertullien), des passages et des commencements dans la mythologie romaine. Le mois doit son nom à ce dieu qui était représenté avec deux visages opposés, regardant l’entrée et la sortie, le début et la fin de l’année. 
Voué au dieu Mars, le mois du même nom, consacrait le retour des beaux jours et marquait le début de la période de la guerre. 
Avril semble être offert à la déesse grecque Aphrodite et à son équivalente romaine Vénus (mais il peut tenir son origine du latin aperire qui signifie « ouvrir » car c’est le mois où s’ouvrent les fleurs ou de l’adjectif apricus « exposé au soleil, ensoleillé »). 
Les mois de mai et de juin seraient consacrés respectivement à la déesse de la croissance Maïa et à la déesse Junon (selon Ovide),

Les heures de la journée


Les prières suivent le rythme du jour et de la nuit comme les fêtes liturgiques rythment l’année (cf infra). Le réseau d’églises d’Occident signale, au son de leurs cloches, les principales divisions de la journée.

Les égyptiens divisaient le jour en vingt-quatre parties : douze de jours et douze de nuit. Les chaldéens le divisaient en soixante parties comme dans les calendriers védiques de l’Inde. Les babyloniens emprunteront la division en douze parties des égyptiens à partir du VIIème siècle avant J.-C. Les jours commençaient au lever du Soleil (Egypte ancienne, Inde) ou à la tombée de la nuit (juifs, musulmans, chinois). A Rome, dans un souci de rationalisation, le jour commençait à minuit. Ce choix est la norme actuelle.

Au Moyen Age, on décompte encore les heures suivant l’usage romain, soit douze heures de jour et douze heures de nuit. Ainsi, au solstice d’hiver, le jour étant plus court que la nuit et durant de six à huit de nos heures était divisé par douze et chaque heure valait donc trente à quarante de nos minutes. Inversement, au solstice d’été, le jour étant plus long et durant de seize à dix-huit heures, les heures valaient quatre-vingt à quatre-vingt-dix de nos minutes. Ce n’est qu’à compter du XVème siècle que, dans les villes industrielles et marchandes, les heures devinrent égales entre elles, mesurées par les horloges mécaniques.

Ainsi, midi (Soleil au zénith) couronne la 6ème heure du jour : sixte. La première heure du jour est marquée par le levé du soleil (prime) et la douzième heure par l’arrivée de la nuit (vêpres). Tierce et none marquent les 3ème et 9ème heures du jour.
Les heures de la nuit sont rythmées par les complies (3ème heure), les matines (minuit, 6ème heure) et les laudes (9ème heure).

NOTES :

1) Les ides (idus, iduum), qui correspondent avec le treizième jour des mois de janvier, février, avril, juin, août, septembre, novembre et décembre ou le quinzième jour des mois de mars, mai, juillet et octobre.
Les nones (nonae, nonarum), le cinquième jour des mois de janvier, février, avril, juin, août, septembre, novembre et décembre ou le septième jour des mois de mars, mai, juillet et octobre.

2) Le cycle suivait un ordre précis. Cet ordre correspond au classement des astres visibles à l’œil nu en fonction de leur vitesse de déplacement dans le ciel par rapport aux étoiles de la voûte céleste en les rangeant du plus lent (Saturne) au plus rapide (la Lune). La première journée sera donc régie par Saturne car la première heure de cette journée sera régie par Saturne, la deuxième heure sera régie par Jupiter, et ainsi de suite jusqu’à la septième heure régie par la Lune. Le cycle de cette journée recommence avec Saturne qui régie la huitième heure, comme la quinzième et on continue ainsi jusqu’à la vingt-quatrième heure régie par Mars. L’heure suivante, la vingt-cinquième heure, qui est la première du jour suivant, sera celle du Soleil qui donnera son nom à ce jour.

3) Certains mois furent renommés par d’autres empereurs, mais aucun changement n’a survécu à leur mort :
- CALIGULA renomma september en germanicus ;
- NERON renomma aprilis en neronus, maius en claudius et junius en germanicus ;
- DOMITIEN rebaptisa september en germanicus mais aussi en antonius et tacitus (en l’honneur d’Antonin le Pieux et de Tacite), october en domitianus et november en faustina et romanus (pour Faustine l’Ancienne).
- COMMODE renomma la totalité des douze mois en amazonius, invictus, felix, pius, lucius, aelius, aurelius, commodus, augustus, herculeus, romanus et exsuperatorius.
CHARLEMAGNE, au IXème siècle, rebaptisa également les mois en vieil haut-allemand, mais cette opération fut plus pérenne que celle des empereurs romains. Ces noms furent utilisés jusqu’au XVème siècle en Allemagne et aux Pays-Bas, et jusqu’au XVIIIème siècle avec quelques modifications.